Numero 1 - "Pour une république africaine des lettres..."Publications

L’outil discursif de la transitivite d’aime cesaire a henri lopes : Yao Jérôme Kouassi

 

l’outil discursif de la transitivite d’aime cesaire a henri lopes

  Yao Jérôme KOUASSI

Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan (Côte d’Ivoire)

RESUME :

Le présent travail qui porte sur la théorie de l’intertextualité est une réflexion fondée sur l’hypothèse de l’existence entre Aimé Césaire et Henri Lopes, d’une relation d’influence. L’interrogation centrale que nous y examinons estla suivante :comment Henri Lopes, à la suite d’Aimé Césaire, use-t-il du raisonnement par transitivité comme matériau littéraire, c’est-à-dire comme moyen de construction et de production de son discours littéraire ? Pour y répondre, nous articulons notre étude autour de trois points essentiels. D’abord, nous rappelons les éléments pertinents de la théorie de l’intertextualité sur lesquels nous fondons notre analyse. Ensuite, nous découvrons les manifestations de la transitivité chez Césaire, précisément dans son Discours sur le colonialisme avant de décrire l’usage spécifique qu’en fait Lopes dans certains de ses textes. Nos investigations nous ont permis de découvrir l’appropriation puis la transformation par Henri Lopes, du raisonnement par transitivité, tel que mis en œuvre par Aimé Césaire, dans son essai. Lopes, à la suite de Césaire, use de ce mode de raisonnement pour en faire un outil discursif, et un instrument de dénonciation, de démonstration et de persuasion.

ABSTRACT:

The present work on the theory of intertextuality is a reflection based on the hypothesis of the existence between AiméCésaire and Henri Lopès of a relationship of influence. The central question we examine here is how Henri Lopes, following AiméCésaire, uses reasoning by transitivity as a literary material, that is, as a means of construction and production of his literary discourse? To answer this question, we focus our study on three essential points. First, we recall the relevant elements of the theory of intertextuality on which we base our analysis. Then, we discover the manifestations of transitivity in Césaire, precisely in his Discourse on colonialism before describing the specific use that Lopes makes in some of its texts. Our investigations allowed us to discover the appropriation and then the transformation by Henri Lopes, of the reasoning by transitivity, as implemented by AiméCésaire, in his essay. Lopes, following Césaire, uses this mode of reasoning to make of it a discursive tool, an instrument of denunciation, demonstration and persuasion.

MOTS-CLES : discursif, transitivité, intertextualité, hypotexte, hypertexte

KEYSWORDS: discursive, transitivity, intertextuality, hypotext, hypertext

INTRODUCTION

Dans le domaine de la logique formelle, la transitivité est définie comme le caractère d’une opération ou d’une relation qui, lorsqu’elle lie un premier terme à un second et celui-ci à un troisième, lie de la mêmefaçon, le premier au troisième. Ainsi, dans les opérations A=B et B=C, la relation ‘égale ‘ est transitive et A=Concevoir la relation de transitivité comme un outil discursif revient à la considérer comme un instrument au service du discours ; le discours littéraire, en l’occurrence, au même titre que les procédés littéraires classiques. La notion de transitivité, au vrai est surtout usitée dans les domaines de la philosophie et de la mathématique dite moderne.Nonobstant, cette incursion de la littérature dans un champ qui, a priori, semble ainsi être moins le sien que celui de ces disciplines, se justifie par le fait que la philosophie et la mathématique partagent avec celle-là, le mot, le signe linguistique à propos duquel Hegel a écrit : c’est dans les mots que nous pensons, mettant ainsi en évidence, la fonction de véhicule de la pensée qui est celle du signe linguistique. Pensant et raisonnant aussi bien en philosophie, en mathématique qu’en littérature, ces trois domaines du savoir et de l’expression avec d’autres certainement, peuvent partager les mêmes outils, dont la transitivité à laquelle ils confèrent de la sorte, une dimension transdisciplinaire. Sous ce rapport, explorer cette question à la fois chez Henri Lopes et Aimé Césaire, revient à émettre l’hypothèse de l’existence entre ces deux auteurs, d’une certaine relation d’influence. Nous nous proposons alors ici de l’élucider à partir de l’interrogation centrale suivante : comment Henri Lopes, à la suite d’Aimé Césaire, use-t-il du raisonnement par transitivité comme matériau littéraire, c’est-à-dire comme moyen de construction et de production de son discours littéraire ? Pour y répondre, nous articulons notre étude autour de trois points essentiels. D’abord, il nous faudra rappeler les éléments pertinents de la théorie de l’intertextualité sur lesquels nous fonderons notre analyse. Ensuite, nous découvrirons les manifestations de la transitivité chez Césaire, précisément dans son Discours sur le colonialismeavant de décrire l’usage spécifique qu’en fait Lopes dans certains de ses textes.

L’INTERTEXTUALITE

La notion d’intertextualité, inaugurée par Julia Kristeva, dans Semeiotike, réfère à une démarche d’analyse du texte littéraire, procédant selon le principe de la mise en relation, du rapport et de l’échange. Inspirée des travaux du MikhaïlBakhtine sur le « dialogisme » et la « polyphonie » du texte romanesque, l’idée d’intertextualité postule que tout texte se construit comme une mosaïque de citations ; tout texte est absorption et transformation d’un autre ou d’autres textes. Tout texte, ainsi que l’écrit Roland Barthes, est un « intertexte », constitué de ce fait, de plusieurs autres textes dont la présence est décelable en lui, à divers niveaux. De ce point de vue, ce texte pourrait être lu, selon la terminologie de Gérard Genette comme un hypertexte, en référence à un hypotexte qui lui est antérieur. L’objet de l’analyse comparatiste est alors la recherche des distributions et des formes de présence possibles de hypotexte dans l’hypertexte ; lequel peut conserver, supprimer, modifier ou développer l’hypotexte. Ces différentes éventualités correspondent à des cas de figure que la critique présente respectivement comme des citations, des traces, des sources ou des amplifications.

Ici, apparait le premier axe de notre étude, relatif aux manifestations de la transitivité dans l’hypotexte à savoir l’essai, Discours sur le colonialisme,d’AiméCésaire.

LA TRANSITIVITE CHEZ AIME CESAIRE

Le raisonnement par transitivité apparait chez Aimé Césaire, dans Discours sur le colonialisme, au moment où il entreprend d’explorer le phénomène de la colonisation en s’interrogeant en ces termes : « Qu’est-ce en son principe que la colonisation » ?

Dans le développement qu’il élabore alors, il répond en substance que la colonisation est semblable au nazisme ; à cause de ses fondements, de ses méthodes, de son essence et de ses conséquences. Il écrit en effet ceci :

Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à réveiller le colonisateur aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, à montrer que chaque fois qu’il y a eu Viêt-Nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France, on accepte, il y a une régression universelle qui s’opère… Et alors, un beau jour, la  bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour ; les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour de chevalets. On s’étonne, on s’indigne. On dit : « comme c’est curieux » ! Mais bah ! C’est le magazine… ! Mais avant d’en être victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé parce que jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens, que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable

Ainsi, pour Césaire, le colonialisme et le nazisme renvoient tous deux à des réalités de la même nature. Le triangle idéologique de la représentation des parties prenantes dans l’entreprise coloniale est éclairant à ce sujet. Rappelons que le triangle idéologique, outil d’analyse sémiotique, composé de trois actants, le destinateur, le sujet et l’objet tient son appellation d’une part, dunombre  et de la disposition de ses actants, d’autre part, au rôle prépondérant qu’y  joue le destinateur, en sa qualité d’instance qui insuffle au sujet, le désir de sa quête et, en tant que tel, explique et justifie l’action à laquelle il pousse. Pour Césaireen effet, les forces en présence dans cette aventure sont précises et claires. La colonisation écrit-il, n’est ni évangélisation, ni entreprise philanthropique. Elle est plutôt le fait des aventuriers, des pirates, des chercheurs d’or mus par l’appétit et la force militaire et dont les victimes furent les Indiens, les Jaunes et les Nègres.

Ce qui nous autorise à procéder à la schématisation ci-après

Ces acteurs de l’aventure coloniale se confondent à s’y méprendre, avec ceux du nazisme. Aussi, lorsque l’historien Ernest Renan organise l’humanité en races inférieures ou et en races supérieures ; en faites, les unes, pour manier l’outil servile, les autres, l’épée ; en races d’ouvriers, la race chinoise ou de travailleurs de la terre, les nègres ; et en races de maitre et de soldats, la race européenne, Césaire ne manque-t-il pas de s’interroger : « Hitler ? Rosenberg ?

…par la bouche des Sarraut et des Barde, des Muller et des Renan, par la bouche de tous ceux qui jugeaient et jugent licite d’appliquer aux peuples extra-européens, et au bénéfice des nations plus fortes et mieux équipées, une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique », c’est déjà Hitler qui parlait.

En effet, les motivations, les actions, les auteurs et les projets du nazisme sont aujourd’hui connus de tous. Mus par la prétendue supériorité de leur « race » dite aryenne, sur les autres, leur force militaire et une pulsion de domination, les nazis ont organisé par convoitise, une vaste oppression et une spoliation éhontée des autres peuples d’Europe. Ce qui peut être résumé dans cet autre triangle idéologique.

Or, l’hitlérisme a été notoirement qualifié de pratique déshumanisante et de crime contre l’humanité. Affirmer que le colonialisme, c’est du nazisme revient, d’un point de vue syntaxique, à conférer à l’hitlérisme, par rapport à cette doctrine, la fonction d’attribut. Un attribut apparaissant au plan sémantique, comme ce qui est propre et appartient particulièrement à une choseou à un être ; sa caractéristique, son trait distinctif, sa propriété et sa qualité. Or, le nazisme a été jugé et condamné. Aussi, le colonialisme dont l’oppression militaire éhontée des peuples plus faibles est une caractéristique et un trait distinctif, doit-il êtreperçu également comme une pratique déshumanisante, comme un crime contre l’humanité et connaitre de ce fait, un traitement, un sort similaire. Ne serait-ce que par esprit de logique. Toute attitude contraire ne serait que purement illogique. A moins d’absoudre le nazisme. L’on ne saurait en effet, le condamner sans condamner pareillement le colonialisme, ainsi que l’écrit Césaire :

 Oui, il vaudrait la peine d’étudier cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique … 

Un raisonnement de ce type, le raisonnement par transitivité, se perçoit mutatis mutandis dans la production littéraire d’Henri Lopes. Dans quels textes, sous quelle forme et à quelles fins ?Telles sont les interrogations qui structurent la dernière partie de notre étude.

LA TRANSITIVITE CHEZ HENRI LOPES

Le raisonnement par transitivité est perceptible chez Lopes lorsqu’il traite du phénomène de l’oppression sous trois formes différentes : la colonisation, la dictature et l’oppression masculine.

A propos de la première forme, en vue de stigmatiser les préjugés raciaux dont étaient victimes, les Noirs, lesquels n’étaient aux yeux des Blancs que des sauvages, Lopes fait dire à l’un de ses personnages blancs : Quelle bande de sauvages tout de même ! Le jour ou nous partirons, ils replongeront dans leur barbarie

Perçu comme des sauvages, les Noirs étaient traités comme tels. Ils étaient ainsi fusillables  à souhait. N’étaient-ils pas des outardes, des macaques et des chacals!

La Nouvelle Romance expose d’autres aspects de la colonisation que sont l’exploitation économique et l’oppression militaire, à travers les impôts et autres patentes indument réclamés, ainsi que les exécutions sommaires et les incarcérations arbitraires.

Sur la base de ces lignes, l’on peut élaborer cet autre triangle idéologique rendant compte des rapports coloniaux, tels que mis en scène par Lopes.

Par ailleurs, la production romanesque d’Henri LOPES est dominée, pour ce qui est du thème de l’Afrique des indépendances et des relations entre gouvernants et le peuple, par la figure de Tonton Hannibal IdeloyBwakamabé Na Sakkadé, représentation métonymique des premiers dirigeants politiques postcoloniaux. Il est figuré comme la somme des principales qualifications des présidents mis en scène dans chacun de ses textes : L’ancien combattant désireux de devenir président et le président Takana dans Tribaliques le Président Albert Bossembélé, dans La NouvelleRomance, le président, dans Sur l’autre rive … Il partage avec les uns et les autres, leurs caractères. Il rappelle en effet, le personnage éponyme de la quatrième nouvelle de Tribaliques, quicomme lui, est un ancien combattant qui a gagné le passage de ses galons de la poitrine aux épaules dans le feu du baroud. Ils ont également en commun, le mode de gouvernement qui se résume à la militarisation du pays, comme ils le proclament chacun. Bien souvent cependant, ces dirigeants ne fondent leurs ambitions politiques que sur des motifs bassement tribalistes ou simplement subjectifs, ainsi que le confesse l’ancien combattant dans Tribaliques,qui ne justifie sa participation à la conjuration qui a renversé le président que par des explications de cette nature-là.

L’analyse d’un tel discours nous autorise à élaborer le triangle idéologique suivant :

Enfin, les rapports entre les hommes et les femmes sont abondamment traités par Lopes dans ses récits. En plus du texte, La Nouvelle Romance, exclusivement réservé à ce thème, plusieurs autres textes de cet auteur abordent le même sujet. Les trois extraits ci-dessous, à notre sens, sont suffisamment représentatifs des griefs de l’auteur sur cette question. Dans La Nouvelle romance, il fait dire à un personnage masculin :

 Les femmes ne sont pas de la même espèce que les hommes. Il ne faut pas trop chercher à raisonner avec elles. Elles sont surtout sensitives. Je crois par exemple qu’elles sont sous l’influence de la lune. Comme la mer. Alors, dans ces moments, il est inutile de vouloir leur expliquer quoi que ce soit. On perd son temps. Il faut les battre. Oui les battre. Bien, bien, bien. Après, ça les soulage. Elles se sentent mieux. Alors, elles peuvent comprendre tout ce qu’on leur dit ».

Au reste, l’une des toutes premières désignations des personnages masculins dans l’œuvre de Lopes, par référence et par opposition aux femmes, c’est celle de « mâles » que l’on peut lire dans le passage ci-dessous : Les mâles d’ailleurs, quand les femmes étaient au champ, discutaient ou dormaient dans le village, à l’ombre, la bouteille de molengué à portée de main ».

Cette appellation connote bien entendu, la force et le pouvoir dont se prévalent les hommes et au nom desquels, ils réservent exclusivement aux femmes, le travail éreintant des champs, ainsi que l’affirme le père de Wali, dans La Nouvelle Romance.

Le père disait que travailler la terre n’était pas affaire d’homme. Qu’il n’y avait eu que les Blancs pour avilir la race en forçant les hommes à cultiver les champs du commandant. Mais, que c’était fini. Maintenant c’était l’indépendance. Les choses devaient rentrer dans l’ordre établi par les anciens. Les hommes à la guerre, à la chasse et à la palabre. Les femmes à la plantation, aux enfants et à la cuisine. Mais puisqu’on ne se battait plus entre tribus voisines, mais puisque les Blancs avaient tué tout le gibier … que pouvaient donc bien faire les hommes ?

Ici, les hommes apparaissent comme des négriers et des colonisateurs des temps nouveaux ; des oppresseurs ni pires, ni meilleurs que leurs prédécesseurs. Outre la ressemblance de cet extrait avec celui déjà cité de Césaire, rapportant les propos de Renan, l’on y remarque l’usage idéologique du mot « race », proche de celui des esclavagistes et des colonialistes. Le père considère la gent masculine comme une race à part entière, avilie par le colonisateur mais réhabilitée par l’indépendance. Cette conception qui a cours dans le cadre villageois, rural, ne diffère pas fondamentalement de celle des villes oùles hommes, à l’image de N’gouakou-Ngouakou, le député, présentent la même mentalité. S’adressant à l’une de ses filles, celui-ci lui rappelle en effet, qu’elle n’est qu’une femme et qu’en tant que telle, son premier travail, c’est le travail domestique. Toute cette conception peut être représentée de la façon suivante :

Bien que répétitif, nous avons élaboré trois triangles idéologiques distincts pour les trois formes d’oppression identifiées dans l’œuvre de Lopes. Ceci, d’abord, en vue de permettre au lecteur de s’apercevoir de la similarité  de ses schémas ; notamment, les destinateurs des actions ainsi présentées. Ensuite, cette répétition permet de remarquer la mutation du statut actantiel des acteurs des phénomènes décrits. Les anciens objets, les colonisés et le peuple, dans l’une de ses composantes, à savoir les hommes, se sont mués en sujets suffisants voire impitoyables. Quelle lecture convient-il de faire d’une telle organisation chez Henri Lopes?

Si d’une part, le destinateur se présente comme l’actant qui insuffle au sujet, le désir de sa quête, que d’autre part, l’idéologie fonctionne comme un système d’idées qui pousse à l’action ou la justifie et qu’enfin les destinateurs de l’entreprise coloniale, de l’autocratie postcoloniale et de l’oppression masculine, sont identiques, les phénomènes décrits sont conséquemment présentés comme pareillement identiques. Nous assistons de la sorte, dans l’œuvre de Lopes, à une assimilation des fondements de toutes les formes d’oppression et par contrecoup, de ces formes de domination elles-mêmes. L’assujettissement de la femme par l’homme apparait ainsi comme une variante de la sujétion des peuples par les autocrates, laquelle n’est elle-même, qu’une copie de la servitude coloniale. Nous sommes bien alors, en présence de l’assimilation césairienne du colonialisme au nazisme. Or, l’un et l’autre ont été énergiquement combattus. En vertu du principe du déterminisme selon lequel les mêmes causes produisent les mêmes effets, il convient conséquemment de combattre pareillement les régimes dictatoriauxpostcoloniaux ainsi que l’oppression de la femme par l’homme. Là réside le raisonnement par transitivité chez Lopes qui, assurément s’inspire de Césaire, comme l’on peut s’en rendre compte et s’en convaincre par la réutilisation subtile qu’il fait de l’assimilation césairienne du colonialisme au nazisme, ainsi qu’on peut le lire dans les lignes ci-après, relatives aux « débarqués »,  les Français nouvellement arrivés en Afrique.

À force de raconter leurs exploits (ceux des débarqués) contre les Boches, bien ils finissent par leur (les Noirs) mettre des idées en tête. Pour les nègres, les boches, c’est nous

Toutefois, Lopes innove en inaugurant ce que l’on peut appeler dans la mesure où il aborde et assimile une série de problèmes, la colonisation, la dictature et l’oppression de la femme par l’homme, la transitivité en série ou en chaine,laquelle, formalisée, produit la représentation ci-dessous.

Outre la mutation du statut actantiel des acteurs des différentes formes d’asservissement, telle qu’exposée précédemment, on observe ici, également une métaphorisation subtile en série ou les comparés deviennent tour à tour, des comparants.

Formes

d’oppression

Comparés

Terme de

 liaison

Comparants

La colonisation

Le colonisateur

est comme

un nazi

La dictature

Le dictateur

est comme

un colonisateur

L’oppression masculine

L’homme

est comme

un dictateur

Ceci pour indiquer leur interchangeabilité : tous, colonisateurs, dictateurs hommes sont des oppresseurs, comme les Nazis, hier.

CONCLUSION

Au total, l’on assiste chez Henri Lopes, à l’appropriation puis à la transformation du raisonnement par transitivité, tel que mis en œuvre par Aimé Césaire, dans son essai,Discours sur le colonialisme. Lopes, à la suite de Césaire, use de cet outil discursif dans ses romans, comme instrument de dénonciation, de démonstration et de persuasion. Dans son œuvre romanesque, l’on observe non seulement une conservation de l’hypotextecésairien, dans son fond, mais également, son développement, à l’effet d’en faire un instrument de dénonciation de toutes les formes d’oppression. Au moyen de l’outil discursif de la transitivité emprunté à Aimé Césaire, Henri Lopesdénonceaussi bien l’oppressiondesNoirs par les Blancs, des peuples par les gouvernants néocoloniaux, que celle des femmes par les hommes ; tout comme celle, exercéehier, sur les autres peuplesd’Europepar les nazis. Ce faisant, le dessein implicite du romancier semble êtrein fine d’inciter les victimes de toutes les formes d’oppression d’aujourd’hui, à s’inspirer de l’action de celles d’hier, dont a résulté leur affranchissement.

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Aimé Césaire, Op. Cit., p.8

Ibid. p. 12

Joseph Ernest Renan, écrivainphilologuephilosophe et historien français, 1823– 1892

Ibid.p.13 – 14

Ibid.p.14

Ibid .p. 15

Ibid .p. 12

Lopes,Le Lys et le Flamboyant, Paris, Seuil, 1997, p. 123

Ibid. p. 180

La Nouvelle Romance p. 32

Henri Lopes, Sur  l’autre rive, Paris, Seuil 199

Henri Lopes, Le Pleurer-Rire, Paris, Editions Présence Africaine, 1982

Op. Cit. p. 52

Henri Lopes, La Nouvelle Romance, Edition CLE, 1977, p. 20

Ibid. p. 17 – 18

Op. Cit. p. 13 – 14

Tribaliquesp. 21

Le Lys et le Flamboyant, p. 176

Ici, le signe  = signifie « équivalent à »

Négatif doit être entendu ici comme une pratique inhumaine, avilissante, inacceptable, immorale

Le signe a le même sens qu’en mathématique moderne: il signifie« implique »:

 

 

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